La diaspora a fait basculer les élections turques

par | 18 juin 2015 | Actualités, Articles de presse, Opinions

L’invité: Ishan Kurt revient sur les récentes élections turques et nous explique comment a voté la diaspora kurde.

Signe tangible de sa présence en Suisse, la place de la Riponne à Lausanne accueille souvent les manifestations de la communauté kurde. Comme le 8 juin dernier, lorsque des centaines de personnes chantaient, dansaient devant le Palais de Rumine où le Traité de Lausanne a été signé en 1923.

Autre mobilisation, depuis janvier dernier, les associations de la diaspora turque ont agi afin de convaincre leurs concitoyens d’aller voter aux consulats de Genève, Berne et Zurich. Certaines associations ont organisé, financé le trajet, et ont accompagné leurs membres jusqu’aux urnes où la votation se déroulait de façon strictement confidentielle.

Après l’élection présidentielle de juin 2014, c’est la première fois qu’ils vont aux urnes pour des législatives. En Suisse, sur une population de plus de 120 000 personnes (dont plus de 6000 dans le canton de Vaud) 91 000 ont le droit de vote. L’AKP (islamo-conservateur), le CHP (Parti Républicain populaire, centre gauche), le MHP (Mouvement nationaliste, extrême droite) et le HDP (Parti démocratique des peuples, prokurde, qui regroupe les minorités et l’extrême gauche), sont les principaux partis à s’être partagé les voix de la diaspora. Sur 56,6 millions d’électeurs turcs, 3 millions vivent en Europe. Ils ont surtout voté en faveur d’AKP et de HDP. En Suisse le parti prokurde a obtenu 49% des voix et l’AKP 24%. Le succès du premier parti est lié aux caractéristiques sociopolitiques de la diaspora: majoritairement kurde, laïque et de gauche.

Le président de la République n’a pas respecté le principe de neutralité

On peut dire que le parti prokurde est le grand vainqueur de ces élections. Il a franchi le quorum de 10% imposé par une loi antidémocratique et il a augmenté le nombre de ses sièges de 36 à 80, dont 32 sont allés à des femmes.

Le grand perdant est l’AKP. Le parti islamo-conservateur a perdu 6% et ne peut pas aujourd’hui former seul un gouvernement. Il devra compter sur le MHP ou le CHP pour une coalition. R. Tayyip Erdogan, le président de la République n’a pas respecté le principe de neutralité. Il a mené une campagne électorale islamo-populiste en faisant jurer les foules sur le Coran en faveur d’AKP. Cette rhétorique islamo-populiste, souvent nerveuse, a finalement été balayée par la population kurdo-alévite et les syndicats qui sont devenus les clés de la législature, emmenés par les discours socialistes, égalitaires, écologistes de Selahattin Demirtas, le charismatique coprésident du HDP.

Cette victoire du HDP est une chance pour le processus de paix avec les Kurdes et pour la démocratisation du pays. Ayant 80 députés au parlement, les Kurdes et l’extrême gauche se sont orientés plutôt vers une lutte démocratique, plutôt que la violence politique. Si Ankara a la volonté de résoudre le problème kurde, il a désormais un interlocuteur légal et légitime.

Article paru dans le journal 24 heures,
le 16 juin 2016