Littérature d’exil : Rencontre avec trois auteurs kurde, arménien et grec

Littérature d’exil : Rencontre avec trois auteurs kurde, arménien et grec

Lausanne 1923-2023

JOURNÉE LITTÉRAIRE

Littérature d’exil : Rencontre avec trois auteurs kurde, arménien et grec

Samedi 7 octobre 2023, de 13h00 à 16h15

Bibliothèque municipale Chauderon
Place Chauderon 11
1003 Lausanne

Entrée gratuite

Après avoir organisé avec la Ville de Renens et Globlivres des soirées autour de la littérature en langues kurde, albanaise et arabe ces dernières années, l’AFKIV vous invite à une rencontre littéraire consacrée à la littérature des populations lésées par le Traité de Lausanne de 1923.

Intervenants

  • Fawaz Hussein, écrivain et poète kurde (Syrie)
  • Krikor Beledian, écrivain et poète arménien
  • Nicolas Verdan, écrivain et journaliste gréco-suisse
  • Modérateur : Bernard Bridel, journaliste

Programme

  • 13h00 Mots de bienvenue de l’AFKIV
  • 13h15 Présentation de la Bibliothèque municipale
  • 13h30 Lectures : français-kurde, français-grec, français-arménien
  • 15h30 Présentation, signature des livres et apéritif

Langue et littérature kurdes

Le kurde est la langue de plus de quarante millions de personnes vivant sur un vaste territoire d’un seul tenant. Cette langue appartient à la famille des langues indo-européennes et au sous-groupe nord-occidental irano-aryen. Elle se divise en trois dialectes nettement apparentés, dont le principal est le kurde septentrional.
Ce dernier, communément appelé kurmandjî, est parlé par les Kurdes vivant en Turquie, en Syrie, dans l’ex-URSS et dans certaines régions d’Iran et d’Iraq. Il a donné naissance à une langue littéraire.
Toujours réprimées de nos jours par ces États, la langue et littérature kurde se développent aujourd’hui essentiellement grâce à la diaspora.

Les intellectuels kurdes qui choisissent le chemin de l’exil se réfugient souvent dans des pays occidentaux et, fait remarquable, vont être à la source d’une véritable renaissance de la littérature kurmandji, drastiquement réprimée en Turquie et en Syrie. Appuyés par plusieurs centaines de milliers de travailleurs kurdes émigrés, les intellectuels se regroupent et ne ménagent aucun effort pour promouvoir leur langue.
Cette nouvelle floraison de poètes, d’écrivains et d’intellectuels en exil illustre de la façon la plus frappante le parallélisme entre liberté et développement culturel.

A l’occasion du centenaire du Traité de Lausanne de 1923, nous organisons une rencontre littéraire mettant à l’honneur les langues des populations lésées par ce Traité, dont les locuteurs subissent massacres, exodes et assimilation depuis un siècle.

Fawaz Hussain

Fawaz Hussain est né au Kurdistan syrien. Arrivé à Paris en 1978 pour poursuivre des études supérieures de lettres modernes à la Sorbonne, il y soutient une thèse de doctorat en 1988. De 1993 à 2000, il réside en Suède, enseignant à l’Institut français de Stockholm et à l’Université de Lulea en Laponie. Il vit actuellement à Paris où il se consacre à l’écriture et à la traduction.

Publications (extraits) : Le Syrien du septième étage, éd. Le Serpent à plumes, 2018 ; Le Kurde qui regardait passer les nuages, éd. Zinedi, 2019 ; Murcie, sur les pas d’Ibn Arabi, Éditions du Jasmin, 2020 ; À mon père, mon repère, Éditions du Jasmin, 2021 ; Un été un vrac, éd. Al Manar, 2023 ; Un Kurde à l’Ithaq, éd. Zinédi, 2023.

Krikor Beledian

Ecrivain de langue arménienne, tour à tour philosophe, essayiste, poète, romancier, Krikor Beledian est une figure centrale d’une littérature contemporaine qui a renouvelé la pratique de l’arménien moderne. Né à Beyrouth en 1945, il vit en France depuis 1970, où il a été maître de conférences à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (Inalco) jusqu’en 2012.

Publications (extraits) : Cinquante ans de littérature arménienne en France. Du même à l’autre, éd. CNRS, 2001 ; Avis de recherche. Une anthologie de la poésie arménienne contemporaine, édition bilingue français-arménien, Parenthèses Éditions, 2006 ; Seuils, Parenthèses Éditions, 2011 ; Le Coup, éd. Classiques Garnier, 2018 ; Signe, éd. Classiques Garnier, 2018 ; L’image, éd. Classiques Garnier, 2021.

Nicolas Verdan

Né en 1971 à Vevey, d’un père suisse et d’une mère grecque, Nicolas Verdan est journaliste et écrivain. Il est le lauréat de nombreux prix littéraires, dont le «Prix du polar romand 2018» pour La Coach, et partage sa vie entre la Suisse et la Grèce.

Publications (extraits) : Le Rendez-vous de Thessalonique, 2005 ; Chromosome 68, 2008 ; Saga, Le Corbusier, 2009 ; Le Patient du docteur Hirschfeld, 2011 ; Le Mur grec, 2015, tous aux éd. Bernard Campiche, et La Coach, éd. BSN Press, 2018 ; Le Mur grec, éd. L’Atalante, 2022 ; Cruel, éd. Okama, 2023 son dernier roman.

De Lausanne 1923  à Lausanne 2023

De Lausanne 1923 à Lausanne 2023

Samedi 10 juin 2023 de 9h00 à 18h00

Hôtel de Ville – Salle du Conseil communal

Place de la Palud 2 – 1003 Lausanne – Suisse

Entrée gratuite, uniquement sur inscription

AU CARREFOUR DES MÉMOIRES
DE 1923 À 2023 : COMMÉMORATIONS DU TRAITÉ DE LAUSANNE

Colloque international

De Lausanne 1923
à Lausanne 2023

Quel avenir pour les peuples exclus du Traité de Lausanne en 1923 ?

État des lieux et perspectives

Dans le cadre des commémorations du Traité de Lausanne « Au carrefour des mémoires ». L’Association pour la promotion du Fonds Kurde Ismet Chérif Vanly (AFKIV) organise un colloque international, en collaboration avec l’Institut Kurde de Paris, l’Association Suisse Arménie et la Ville de Lausanne pour débattre des effets et des conséquences du Traité un siècle après sa signature.

Après la chute de l’Empire ottoman, les Kurdes ont connu pour la première fois, il y a plus de 100 ans, la possibilité de bénéficier d’un territoire autonome grâce au Traité de Sèvres (1920), au lendemain de la Première Guerre mondiale. Traité qui n’a jamais été ratifié. Avec ce traité, « on a donc créé à Paris une Arménie indépendante sans Arméniens, un Kurdistan autonome sur papier et, au surplus, amputé ces deux entités des deux-tiers de leurs territoires » comme disait Ismet Chérif Vanly, l’intellectuel kurde lausannois.

Les Arméniens et les Kurdes, qui étaient agréés à la Conférence de la paix à Sèvres, n’ont pas été invités, même à titre d’observateurs en 1923 à Lausanne. Il va pourtant s’agir, à Lausanne, de leurs intérêts vitaux et de leur destin. Compte tenu des promesses qui leur ont été faites par les puissances sorties victorieuses de la guerre, cette attitude est interprétée comme une trahison, une lâcheté, que d’autres appellent « raison d’État ».

Un siècle plus tard, restant coincés dans les États-nations de la région, les Kurdes espèrent surmonter les effets du Traité de Lausanne qui, en 1923, a remplacé celui de Sèvres. Depuis lors le peuple kurde lutte pour être reconnu en tant que nation ayant sa culture et voulant une patrie libre.

Aujourd’hui, l’enjeu est de tourner la page noire de 1923 afin que la paix et la démocratie s’instaurent dans la région.

Ce colloque rassemblera donc chercheur·se·s, historien·ne·s, juristes et politologues de tous horizons pour répondre aux différentes questions que le Traité soulève encore aujourd’hui.

 

Programme

 

Bienvenue

 

9h00                           Accueil des participants

9h15                            Mots de bienvenue: MM. Grégoire Junod, syndic de Lausanne; Ihsan Kurt, président d’AFKIV

9h30                           Présentation du colloque
M. Kendal Nezan, président de l’Institut Kurde de Paris

Contexte historique

9h40 – 11h00 – 1e table-ronde avec la participation de :

 

Derya Bayir, docteure en Droit de l’Université Queen Mary, auteure du livre «Minorités and Nationalism in Turkish Law».

Hamit Bozarslan, professeur à l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS) de Paris, auteur notamment de «Histoire de la Turquie : de l’Empire ottoman à nos jours », éditions Tallandier 2013.
L’Empire ottoman après la Première Guerre mondiale.

Hans-Lukas Kieser, Professeur à Newcastle University, Australie, auteur notamment de l’ouvrage à paraître «When Violence Won: The Middle East’s Enduring Peace of Lausanne».
Processus de négociations et principales dispositions du Traité de Lausanne.

Leonard V. Smith, Université d’Oberlin
International Law and Greek-Turkish, Greek-Bulgarian population exchanges.

Modératrice: Joyce Blau, professeure émérite de la langue et civilisation kurdes (INALCO) Paris

11h00 – 11h15: Café-croissants offerts par la Ville de Lausanne

Le sort des peuples exclus

11h15 – 12h30 – 2e table-ronde avec la participation de :

 

Baskin Oran, professeur émérite de la Faculté des Sciences politiques d’Ankara, auteur d’ouvrages de référence sur le Traité de Lausanne.
Le sort des minorités dans le Traité de Lausanne.

Raymond Kevorkian, professeur émérite de l’Université de la Sorbonne, auteur d’ouvrages de référence sur l’Arménie.
Conséquences du Traité de Lausanne sur la question arménienne.

Joseph Yacoub, professeur émérite de sciences politiques à l’Université catholique de Lyon.
Le drame des Assyro-Chaldéens.

Modératrice: Nazand Bagikhani, professeure à Sciences-Po Paris

12h30 – 14h00: Pause déjeuner

 

Les Kurdes après Lausanne

14h00 – 15h453e table-ronde avec la participation de :

Mesut Yegen, professeur à l’Université d’Ankara
Le sort des Kurdes sous la République turque

Jordi Tejel Gorgas, professeur d’histoire à l’Université de Neuchâtel
Les Kurdes en Syrie

Nazand Begikhani, professeure invitée à Sciences-Po Paris.
Traité de Lausanne: Le pouvoir de l’histoire et l’importance d’y inclure l’expérience des femmes kurdes.

Sherko Kirmanj, professeur à l’Université d’Ulster
Lausanne Treaty and the impact of the fate of the Mosul Wilayat on the Kurdish question

Modérateur: Hamit Bozarslan, professeur à l’EHESS de Paris

Vers une révision du traité de Lausanne?

Comment réparer les injustices faites aux peuples victimes du Traité de Lausanne et répondre à leurs aspirations?

15h45 – 17h304e table-ronde avec la participation de :

 

Sibel Arslan, conseillère nationale, Bâle

Mustafa Atici, conseiller national, Bâle

Osman Baydemir, ancien maire de Diyarbakir, ancien député

Laurence Fehlmann Rielle, conseillère nationale, Genève

Rémi Féraud, sénateur de Paris

Peter Galbraith, ancien ambassadeur des États-Unis

Modérateur: Kendal Nezan, président de l’Institut Kurde de Paris

Clôture

17h30 – Synthèse du colloque

Visite de la Vieille ville et du Musée historique de Lausanne

 

 

 

Le colloque se déroulera en français et en anglais
avec traduction simultanée vers ces deux langues

 

Co-organisé par:

Le Traité de Lausanne, 1923 – 2023

Le Traité de Lausanne, 1923 – 2023

La Ville de Lausanne organise une série d’événements du 27 avril au 8 octobre 2023 à l’occasion du centième anniversaire de la signature du Traité de Lausanne qui fixait le 24 juillet 1923 les frontières – toujours en vigueur – de la Turquie moderne, au détriment de nombreuses populations non turques concernées, mais exclues des négociations.

Le musée historique de Lausanne présente «Frontières. Le Traité de Lausanne, 1923 – 2023» une exposition accompagnée de conférences, de tables rondes, de projections et de la publication chez Antipodes d’un ouvrage consacré à l’élaboration de ce traité.

En parallèle des activités menées par la Ville, les institutions culturelles ainsi que les associations représentant les communautés impactées par le Traité de Lausanne porteront un(des) regard(s) sur le Traité, ses conséquences, ses résonnances aujourd’hui.

Tous les détails de ces événements sont disponibles sur les sites de la Ville de Lausanne et du Musée historique de Lausanne.

Photo: délégation turque à la conférence de Lausanne, 1923. Collection Frank et Frances Carpenter.

Soirée littéraire kurdo-libanaise à Globlivres

Soirée littéraire kurdo-libanaise à Globlivres

AFKIV et Globlivres vous invitent à une soirée littéraire kurdo-libanaise le 7 octobre à 18h30 à Globlivres, Bibliothèque interculturelle, Rue Neuve 2bis, à Renens, avec:

Fawaz Hussain

Fawaz Hussain est né au Kurdistan syrien. Arrivé à Paris en 1978 pour poursuivre des études supérieures de lettres modernes à la Sorbonne, il soutient une thèse de doctorat en 1988. De 1993 à 2000, il réside en Suède enseignant à l’Institut français de Stockholm et à l’Université de Lulea en Laponie. Il vit actuellement à Paris où il se consacre à l’écriture et à la traduction.

et

Nouhad Abou Samra

Nouhad Abou Samra est née au Liban en 1966. Elle arrive en France en 1985 où elle effectue des études de psychologie. Auteure de plusieurs livres parus aux éditions Stellamaris, elle vit actuellement dans le canton de Vaud où elle consacre une grande partie de son temps à la lecture et à l’écriture. Elle est membre de l’Association Vaudoise des Ecrivains.

Les dangereuses ambitions turques

L’offensive turque au Rojava illustre les visées néocoloniales du régime d’Ankara en Syrie et en Irak, selon Ishan Kurt, spécialiste de la Turquie. Or ces «projets de modification démographique par la déportation de la population kurde mèneront la région à une grande crise politique et humanitaire».

 

Le 9 octobre, la Turquie a lancé sa troisième offensive militaire au nord de la Syrie, dans la région du Rojava, majoritairement kurde. Après l’occupation de l’enclave d’Afrin, en février 2018, l’armée turque vise cette fois-ci des régions syriennes tenues par les milices kurdes, arabes et assyro-chaldéennes qui forment les Forces démocratiques syriennes (FDS). Considérées comme «terroristes» par le régime de Recep Tayyip Erdogan, mais alliées des Occidentaux car elles ont mené la lutte contre les djihadistes du groupe Etat islamique (EI), les FDS ont livré de violents combats contre les troupes turques et leurs supplétifs syriens dans le nord-est du pays. Plus de 300 000 personnes ont dû quitter leur habitation. Le coprésident du Comité de santé du Rojava, Ciwan Mustafa, a fait part de la mort de 217 civils depuis l’opération de l’armée turque du 9 octobre dernier.1

Cette guerre par procuration confiée par l’Etat turc aux forces spéciales turques et à «l’Armée nationale syrienne» – ANS, créée par le régime d’Erdogan et composée par des djihadistes de la région et étrangers – conduit la Syrie dans un nouveau chaos, sur lequel compte l’homme fort d’Ankara pour rester au pouvoir.

Une Turquie nationaliste et négationniste

Après les génocides arménien et assyro-chaldéen de 1914 et 1915, toujours niés par l’Etat turc, les revendications autonomistes kurdes sont devenues le principal problème au cœur de la «République turque, homogène et unitaire». Les Kurdes, qui représentent plus de 20% de la population de Turquie, sont considérés comme un groupe à assimiler de force, sinon à exterminer purement et simplement. Depuis la création de la République turque en 1923, toutes leurs revendications sont qualifiées de «terroristes», quel qu’en soit le caractère politique: indépendantiste, fédéraliste ou autonomiste. Les gouvernements qui se sont succédé à Ankara ont considéré toutes les demandes politiques kurdes comme un problème de sécurité nationale, y compris au-delà des frontières – comme au Kurdistan iranien, irakien et syrien, où l’armée turque a mené des opérations militaires, le plus souvent en violation du droit international et de la souveraineté des pays voisins. Toute organisation kurde autonomiste ou indépendantiste revendiquant des droits politiques ou culturels est immédiatement considérée comme un danger pour la sécurité ­nationale et pour l’unité ­
territoriale de la Turquie.

«Le meilleur Kurde est un Kurde mort.» Cette expression d’une ironie noire est utilisée chez les Kurdes pour résumer la politique turque d’assimilation et d’extermination militaire en cas de révolte. Face aux exigences des Kurdes, la riposte de l’Etat turc est toujours répressive. Toutes les revendications pour faire valoir les droits culturels et identitaires kurdes sont assimilées par la Turquie à des «provocations d’ennemis extérieurs qui veulent déstabiliser la patrie». La répression de l’Etat turc va jusqu’à l’élimination physique d’opposants à l’étranger. L’implication des services de renseignements turcs dans l’assassinat de trois militantes kurdes, le 13 janvier 2013 à Paris, en est un exemple connu. Et le 12 octobre dernier, Havrin Khalaf, la cheffe du parti pro-kurde Avenir de la Syrie, était assassinée près de Qamichli, dans le nord de la Syrie, par des djihadistes pro-turcs. De plus, les autorités turques demandent souvent l’extradition de militants kurdes exilés. Ankara surcharge ainsi excessivement Interpol de demandes d’arrestations en Europe.

Les répressions d’Ankara sont également diplomatiques. En avril 2019, la représentation turque au Japon a exercé des pressions sur les autorités nippones parce que des cours de langue kurde étaient dispensés dans la section Etudes étrangères de l’Université de Tokyo. Tandis qu’en septembre 2017, lorsque le gouvernement régional du Kurdistan irakien a lancé le référendum d’indépendance, Erdogan menaçait de frapper Erbil, la capitale régionale. Il finalement imposé des sanctions économiques et interrompu les liaisons aériennes.

A ces différentes formes de répression on pourrait ajouter d’innombrables exemples. Dans les faits, le pouvoir turc refuse de tolérer la moindre organisation des populations kurdes, qu’elle soit politique, culturelle ou sociale. Les huit députés du HDP (Parti démocratique des peuples, pro-kurde) ainsi que 62 maires sont en prison, accusés de «propagande ou soutien au terrorisme». Aujourd’hui, plus de 10 000 prisonniers politiques d’origine kurde remplissent les prisons turques.

Ambitions colonialistes

Les racines de cette kurdophobie institutionnalisée en Turquie se trouvent dans le Misak-i Milli (le serment national) du 28 janvier 1920, proclamé lors du dernier mandat du Parlement ottoman, qui a tracé les frontières du nouvel Etat turc. Selon ce pacte, la Turquie devait inclure la Thrace, le «vilayet» de Mossoul (y compris Kirkouk), Alep et, au nord-est, la ville actuelle de Batoumi (en Géorgie), et abandonner les anciennes provinces arabes. Le Misak-i Milli affirme également l’indivisibilité de la nation turque. Ce pacte devint par la suite la base du Traité de Lausanne signé le 24 juillet 1923, puis de la proclamation de la République, le 29 octobre 1923. La Turquie est alors présentée comme un Etat unitaire et une nation homogène. Mais ni les Ottomans, ni leurs successeurs kémalistes n’ont pu digérer la perte de ces territoires. Les gouvernements successifs, de gauche ou de droite, islamistes ou laïcs (nationalistes), ont toujours caressé l’ambition de récupérer un jour Kirkouk et Mossoul.

La République turque a été créée sur les ruines de l’Empire ottoman, mais aussi sur les cendres des génocides arménien et assyro-chaldéen de 1914-1915. Ces deux tragédies ont été suivies par les massacres kurdes de 1925 (suite à la révolte de Cheikh Saïd), puis par celui de Dersim en 1938, sans compter les tous les autres. Alors que la Turquie croyait en avoir fini avec les minorités non musulmanes, elle s’est retrouvée face aux revendications indépendantistes ou autonomistes kurdes. L’Etat turc se considère comme une «nation unique, langue unique, religion unique et drapeau unique», comme le répètent les manuels scolaires. Toute contestation contre ce principe unitaire, qu’il s’agisse de revendications démocratiques, pacifiques ou militaires, est immédiatement qualifiée de «terroriste».

Comme l’a fait avant lui l’ancien président turc Turgut Özal au début des années 1990, Recep Tayyip Erdogan utilise souvent la rhétorique populiste faisant de Kirkouk et Mossoul des parties de la Turquie. Il ravive ainsi les rêves islamo-nationalistes turcs de reprendre ces deux villes situées au cœur de la région pétrolifère irakienne. Un des objectifs de l’occupation turque du nord de la Syrie est le projet, si un jour la conjoncture le permet, d’avancer jusqu’à la ville irakienne de Mossoul et d’annexer l’actuel Kurdistan irakien.

Président d’un pays plongé dans une profonde crise économique et politique, Recep Erdogan mène depuis le début de la guerre civile en Syrie, avec Devlet Bahçeli, son alliée ultra-nationaliste du MHP (Parti du mouvement nationaliste), une stratégie du chaos afin de maintenir le pouvoir de l’AKP présidentiel et du MHP. L’invasion turque en Syrie, sous couvert de la lutte contre le terrorisme, n’est rien d’autre qu’une démonstration de l’ambition coloniale du pouvoir néo-ottoman actuellement à la tête de la Turquie. L’enclave kurde d’Afrin, occupée depuis février 2018, en est un autre exemple. Depuis cette date, l’armée turque a modifié la démographie de ce territoire, y a installé des Arabes à la place des Kurdes et y a créé une administration turque. Enseignement, banque, poste, université… tout a été «turquisé».

Début 2003, lorsque les Etats-Unis et leurs alliés ont envahi l’Irak, la Turquie s’y est opposée. Contestant le projet de Washington d’un futur Irak fédéral, Ankara n’a pas autorisé l’utilisation de la base militaire d’Incirlik, dans le sud de la Turquie, ni le déploiement des soldats américains sur son territoire. Cela a entamé la confiance entre les deux alliés, ce qui a eu pour conséquence de priver la Turquie d’une place à la table des négociations après la chute du régime de Saddam Hussein. Depuis ce moment, Ankara a constamment saboté les perspectives de la création d’un nouvel Irak fédéral dans lequel les Kurdes seraient autonomes. Sous prétexte de «lutte contre le terrorisme», l’armée turque mène des opérations contre le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), et des paramilitaires sont lancés contre les dirigeants kurdes irakiens.

Lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie en avril 2011, la Turquie, tirant les leçons de sa politique irakienne, n’a pas hésité à s’engager et à mener une guerre par procuration, notamment dans les régions au nord du pays. Ankara a alors apporté un soutien militaire et politique aux groupes islamiques sunnites partisans d’Al Qaïda et de l’Etat islamique opposés à Bachar al-Assad. Aujourd’hui, ce sont des milices formées par Ankara dans «l’armée nationale» qui mènent les opérations pour mettre un terme à l’administration autonome et multiculturelle du Rojava.

Retour au chaos

L’invasion turque du nord de la Syrie n’aura pas pour seule conséquence le retour des djihadistes de Daech. Le déplacement de populations constitue une arme de destruction que l’Empire turco-ottoman a toujours utilisée dans son histoire. La République turque l’a ensuite utilisée contre les Grecs, les Bulgares, les Arméniens et dans la partie occupée de Chypre depuis 1974. Les projets de modification démographique par la déportation de la population kurde mèneront la région à une grande crise politique et humanitaire. L’élimination d’Al Bagdadi, le leader de l’Etat islamique, près d’Idlib, à 5 km de la frontière turque, n’a pas fait disparaître miraculeusement le danger du terrorisme djihadiste. Le contrôle par les forces russo-turques d’une zone longue de 120 km et large de 30 km à l’intérieur du territoire syrien a fait entrer la région dans une nouvelle phase de déstabilisation. Or au lieu de viser une stratégie politique néo-coloniale en Syrie et en Irak, la Turquie devrait répondre tout d’abord aux revendications culturelles et politiques de ses propres ressortissants kurdes.

Répartie sur les territoires de la Turquie, de l’Irak et de la Syrie, selon l’accord des grandes puissances occidentales après la Première Guerre mondiale, et ayant subi, encore au XXIe siècle, des massacres perpétrés par ces quatre Etats-nations répressifs, la population kurde estime que le monde civilisé a des devoirs envers elle. Plusieurs pays, notamment les Etats-Unis, la France, l’Angleterre et l’Allemagne, se sont engagés comme des alliés des Kurdes dans la lutte contre l’organisation EI. Les discours de ces Etats condamnant la Turquie ne suffisent plus pour protéger les Kurdes contre l’Etat turc. C’est pourquoi les démocraties occidentales ont une responsabilité politique et morale pour des solutions fédératives à la question nationale kurde, dans un contexte de bouleversement moyen-oriental.

Ihsan Kurt

______________

Notes

1. Lors d’une conférence de presse à Hassaké le 17 octobre, selon le quotidien Rûdaw du 19 octobre 2019, basé à Erbil (Kurdistan irakien).

* Spécialiste de la Turquie, ancien journaliste kurdo-suisse, président de l’AFKIV.

Conférence à Lausanne

«Occupation militaire turque en Syrie: Peur d’une autonomie Kurde?» Sous cet intitulé, une conférence est organisée mardi 19 novembre, à 18h, à l’Université de Lausanne (Unil). Interviendront Joseph Daher, enseignant à l’Unil, Faculté des sciences sociales et politiques, et Ihsan Kurt, Journaliste et sociologue, spécialiste de la Turquie.

Ma. 19 novembre, 18h, Unil, Salle Géopolis, Quartier Mouline, Lausanne.

Article paru dans le journal Le Courrier,
le 18 novembre 2019