Des élus et la diaspora kurde croient que l’heure de la paix est venue et appellent le Conseil fédéral à s’engager.
Le débat sur la paix en Turquie n’a jamais été aussi opportun. Après des rencontres infructueuses entre les services secrets turcs et les dirigeants du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à Oslo, durant ces deux dernières années, les discussions ont repris entre Abdullah Öcalan, le chef du PKK, emprisonné depuis 1999, et les députés kurdes. Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et la présidence du BDP (Parti pour la paix et la démocratie) ont exprimé leur claire volonté d’ouvrir le dialogue.
L’option portée par ces représentants de la classe politique consiste à octroyer aux Kurdes «des droits culturels» et «de la citoyenneté constitutionnelle». Pour sa part, le PKK se prépare à son huitième cessez-le-feu unilatéral depuis 1993. Selon les médias turcs et kurdes, le 21 mars, l’organisation déclarera un cessez-le-feu. En prélude, elle vient de libérer des militaires retenus prisonniers. Ce débat a eu de nombreux échos dans l’UE, et aussi dans la diaspora kurde en Suisse.
En raison de la volonté kurde d’aller vers l’autonomie, et cela malgré les vains efforts d’Ankara pour réprimer cet élan, le véritable problème reste la confiance très faible des Kurdes envers les autorités turques. Autre obstacle: le leader charismatique des Kurdes, Abdullah Öcalan, ne pourrait pas mener ces négociations depuis sa prison d’Imrali, en mer de Marmara. Les milieux kurdes pensent qu’il y a un trop fort risque qu’il soit manipulé et instrumentalisé par les services secrets turcs.
Deux difficultés importantes, ont souligné Essa Mossa, ancien avocat de Nelson Mandela, et Colen Murphy, député irlandais, lors d’une conférence sur «le rôle des Etats neutres dans les négociations et la résolution pacifique de la question kurde», organisée le 23 février dernier à Berne1. Les orateurs, dont des parlementaires suisses et kurdes, ont pris comme point de comparaison la situation du régime d’apartheid d’Afrique du Sud et le processus de désarmement de l’IRA en Irlande du Nord.
La rencontre a permis de mettre en exergue l’importance d’une médiation internationale. Les associations kurdes de Suisse et certains conseillers nationaux ont exprimé leur souhait de voir la Suisse en charge des bons offices pour «la paix en Turquie». Les intervenants ont assuré que «les conditions étaient réunies pour une prise de position du Conseil fédéral».
Tant la députée du BDP Aysel Tugluk que Zubeyir Aydar, membre du Congrès national du Kurdistan (KNK), exilé en Suisse, ont demandé expressément le soutien de Berne et exprimé leur disposition à collaborer avec les autorités helvétiques pour résoudre le conflit en Turquie.
Les hôtes, en l’occurrence les conseillers nationaux Carlo Sommaruga (PS/GE), instigateur de la conférence, Yvonne Gilli (Vert/SG) et Beat Jeans (PS/BS), ont estimé que la Suisse pourrait jouer un rôle prépondérant dans un tel processus de paix. Les parlementaires ont souligné l’importance de la neutralité Suisse, son histoire non coloniale et son expérience dans la résolution des conflits au Moyen-Orient et en Amérique latine. Beat Jeans a appelé le Conseil fédéral à saluer le dialogue entre le PKK et les autorités turques. La Suisse garantit déjà par ailleurs les négociations entre Ankara et Erevan pour la normalisation des relations diplomatiques avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie dans le cadre du conflit du Haut Karabakh.
La migration turque vers la Suisse date des années 1960 déjà. Economique jusqu’au coup d’Etat militaire de 1980, elle est devenue politique avec l’arrivée des syndicalistes et de militants de gauche. Avec quelque 120 000 personnes, dont 80 000 d’origine kurde, la diaspora de Suisse serait la sixième communauté turque à l’étranger.
La Suisse est également bien connue des Kurdes en raison du Traité de Lausanne de 1923, qui signe la naissance et la reconnaissance internationale de la République turque. Chaque année, le 24 juillet, les associations kurdes organisent des protestations dans la capitale vaudoise. En novembre 2008, Pascal Couchepin, alors président de la Confédération, a offert à la Turquie la table sur laquelle fut signé le Traité de Lausanne, ce qui avait outragé les diasporas kurde et arménienne de Suisse. Tout cela rendrait une potentielle intervention suisse très forte symboliquement.
Ihsan Kurt*
* Président de l’AFKICV – Association pour le Fonds Kurde Ismet Chérif Vanly (Prilly-VD)
Article paru dans le journal Le Courrier,
le 21 décembre 2016