Tayyip Erdogan, pédale pour ne pas tomber!

par | 9 décembre 2016 | Actualités, Articles de presse, Opinions

L’invité: Ihsan Kurt nous parle de la Turquie, où il perçoit un phénomène dit de «pakistanisation».

Plusieurs organisations salafistes comme Daech, Al Nousra, Ahrar Al Cham, mènent leurs activités politiques aujourd’hui en Turquie. Les villes de Gaziantep, Adiyaman, Hatay, frontalières avec la Syrie sont les bases arrière de ces organisations terroristes. D’autres grandes villes comme Konya, bastion de l’islam politique, Istanbul, Mersin, très loin des frontières, sont des lieux où ces organisations recrutent des combattants, récoltent des soutiens financiers et logistiques.

Sous formes d’associations, maisons d’éditions, œuvres d’entraides, ces organisations propagent la «guerre sainte» en Syrie et en Irak. Selon un sondage paru en Turquie (Gezici Arastirma Sirketi, le 15 juillet 2016) 19,7% de la population soutient Daech car elle «se bat pour la charia». Cette situation est comparable à celle qui prévaut au Pakistan d’où des organisations comme Al-Qaida mènent la guerre en Afghanistan. Cette pakistanisation du pays met en question les relations avec les alliés européens ainsi que des pays voisins. Alors qu’il n’y a pas si longtemps, le gouvernement islamo-nationaliste semblait avoir trouvé la formule de la réussite en matière de politique étrangère simple et concise; «zéro problème avec les voisins», était vanté sur le plan national et international par l’ex-premier ministre Ahmet Davutoglu.

 

Le pays vit dans l’état d’esprit qui était celui des années 1990

Or depuis la guerre civile en Syrie, cette recette philosophique qui semblait pourtant fiable perd toute sa crédibilité. Le chef d’Etat Tayyip Erdogan a désormais coupé les ponts avec l’Egypte, la Syrie, l’Irak. Les tensions diplomatiques vont jusqu’aux Etats-Unis, accusés aujourd’hui de soutenir la tentative de putsch. Erdogan, menace aussi ses alliés européens de leur envoyer des centaines de milliers de migrants et de rompre avec l’UE pour faire partie de la zone de libre-échange de Shanghai.

Le projet d’instauration d’un «Islam modéré» dans la région, attribué à la Turquie et soutenu par l’occident au milieu des années 2000 a échoué. La «Turquie laïque» va plutôt vers une réislamisation. C’est la stratégie de chaos d’Erdogan qui y règne. Vivant sous la peur d’être juger à l’interne pour la corruption et à l’étranger pour massacre et crimes de guerre, ce dernier mène une politique à l’image du vélo: pédaler pour ne pas tomber!

Aujourd’hui, le pays vit dans l’état d’esprit qui était celui des années 1990: les tensions avec les pays arabes et européens, les théories du complot empoisonnaient la vie et les Turcs – persuadés de vivre dans un pays assiégé – se répétaient à l’envi que «le Turc n’a aucun ami sinon le Turc». Dans l’état actuel, le pays ressent un fort sentiment d’appartenance avec l’idéologie radical et nationaliste dite «turco-islamiste». Bref, Erdogan a visiblement sorti la Turquie du «zéro problème» avec les voisins pour la faire entrer dans le monde «zéro ami».

Article paru dans le journal 24 heures,
le 9 décembre 2016